Note sur le rêve…

Parler du rêve. Tenter d’énoncer ce qu’il dérobe lors de notre (r) éveil. N’y a-t-il pas, au cœur de cet acte, la manifestation d’une volonté qui, au lieu d’accompagner l’énergie propre à l’univers onirique, la rompt ? En rapportant le flux (?) du rêve sur le terrain du supposé réel, ne fait-on pas marche arrière ? Le contre-courant de l’énergie que nous épousons en entrant en sommeil et par la suite dans le rêve, n’est-il pas perdu dès lors que nous le couchons sur le terrain sémantique ?

Dernièrement, l’auteur de ces lignes a eu cette phrase de demi-sommeil : « Taire ma présence pour m’effacer au futur. » Au premier regard (!), cette injonction (puisque je la perçois comme telle) me prie de conserver le silence, m’impose une distance. Puis, après coup, elle parle, résonne, insiste sur une problématique (qui n’a de cesse de me hanter) liée au temps et à ce persistant acharnement que met l’homme à vouloir bâtir un/son monde alors que celui-ci est et n’a donc ni commencement ni fin… La persistance de la répétition de cette phrase à l’état de veille force de fait l’analyse à tirer au jour la signification qu’elle sous-tend. C’est à cet instant que l’on procède à ce que je nommerai une mise à plat du rêve (1) en cherchant à le comprendre à l’aide d’une logique — la pensée discursive — qui n’est pas en mesure de répondre de façon satisfaisante. La confrontation/résistance qu’établit le rêve dès que nous franchissons le seuil du monde diurne ne sous-entendrait-elle pas que la racine de notre réflexion, de nos capacités analytiques ont pour terre « les contrées abyssales du rêve » néantisées par le jeu du regard exotérique qui annule l’autre regard, le regard ésotérique (du grec esôtérikos « de l’intérieur ») c’est-à-dire celui du rêve ? Si l’on admet cette hypothèse, il faut alors se dégager du jeu du langage enseigné, et en inventer un autre à défaut de découvrir celui qui est propre au rêve. Mais, au préalable, il conviendrait de trouver les modalités qui permettraient de se placer au plus près de la dynamique de cette invention/intention car la psychanalyse en fut une de tentative. Mais infléchie dès le départ par l’apport du mythe grec entre autres (la pythie de Delphes ne m’est jamais apparue en rêve, elle est ma présence au monde au cœur de la sienne.)
Tombant à mon tour sous le coup de la critique énoncée ci-dessus, j’utiliserai néanmoins un « langage » supposé éclairant : l’analogie astrologique. L’astre nocturne, la Lune, symbolise tout ce qui relève de l’impalpable, de la féminité (bien que dans certaine tradition Indo-européenne, la Lune soit de principe masculin), le monde des émotions, l’enfance et l’enfant, la mère, le liquide amniotique, et, pour abréger, car la liste est longue, le rêve et la poésie. À l’énoncé de ces analogies, tout porte donc à croire/penser que nous venons du rêve et sommes propulsés sur une terre étrangère : le Monde ou la réalité concrète. Ainsi, le rêve serait l’ultime accès, voie nous permettant de nous déprendre de « ce » monde pour nous réapproprier, nous replonger à la source originelle (2), à notre propre centre d’énergie, c’est-à-dire réintégrer « l’autre » (en supposant qu’il n’y en ait qu’un). Mais pour cela, il conviendrait en premier lieu de procéder à une restitution intérieure d’un état antérieur occulté par les pressions de ce que l’on veut nous faire passer pour le Monde seul et unique, faisant de chacun un endormi-égaré au lieu d’un rêveur-éveillé.

Le mouvement du rêve qu’épouse notre présence, que conserve-t-il de nous lorsque le sommeil se retire ? La part manquante, cette absence qui, par instants, nous habite (ou que nous habitons ?) tant et tant que le jeu de la réalité ne parvient plus à nous capter, ne renferme-t-elle pas dans sa transparence la/les clef(s) de notre présence ? Cette part manquante, quel rôle tient-elle dans le plan invisible ? La lame XII du tarot de Marseille, Le Pendu, montre un homme tête en bas, accroché à un arbre par un seul pied, l’autre étant replié, donnant ainsi la vision d’une seule jambe. Cet arcane du renversement (c’est le seul arcane du tarot à se présenter ainsi) ne nous invite-t-il pas effectivement à renverser le cours du réel, à reconsidérer le feu de la vie (dans cette posture le sang descend à la tête et le sang est analogiquement associé au feu) à partir d’une nouvelle source de perception ? Le rêve dans ce cas peut tenir lieu de nouvelle source. La part de transparence qu’il fait intervenir (3) n’est-elle pas le creuset à partir duquel, et pour reprendre la formulation de Marc Thivolet, « l’homme se dé-saisit de lui-même » et, je rajouterai, de tout ce qu’on lui a fait percevoir comme tel. Étape nécessaire pour réinventer en permanence l’instant sans cesse à reconsidérer. Le « la » de la présence…

Fabrice

(1) Je dis bien rêve et non contenu. Contenu. Qu’est-ce à dire ? La notion de contenant intervient ipso facto. Le rêve ne saurait être perçu exclusivement comme un contenant, c’est une autre dimension, un autre temps, une cinquième saison. Parle-t-on du contenu de la réalité ? Non, on se contente de dire réalité sans autre précision. Mais l’utilisation du terme « contenu » démontre bien la démarche, le niveau de perception de l’esprit qui part du principe que le rêve est assujetti au monde diurne, qu’il est de fait le résidu du non-dit du quotidien, le fer de lance de la psychanalyse freudienne en somme…

(2) Cette formulation est à prendre avec infiniment de distance critique…

(3) A-t-on considéré le fait de la non-vision de soi dans la dimension onirique ou tout au moins de la non-ressemblance lorsqu’il semble s’agir de soi ? Le miroir, objet tant prisé dans la réalité pour nous prouver que l’on a véritablement une image, nous donner une idée de notre « tenue », ce miroir donc semble inapproprié, disparaît (?) dans le rêve. La fonction du miroir n’est-elle pas de nous réconcilier journellement avec ce sentiment d’imposture que représente notre apparence charnelle ? La question est posée…

À propos de l'auteur : Fabrice Pascaud

Astrologue et tarologue. 40 ans d’expérience. A été membre du comité de lecture de la revue « L’astrologue » fondée en 1968 par André Barbault. A exercé conjointement à son activité d’astrologue et de tarologue, le métier de journaliste durant 23 ans. Ses compétences ont été saluées par 4 étoiles dans le Guide de la voyance d’Anne Placier.

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